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L’État français cherche-t-il à s’affranchir de l’accord de Nouméa ?
jeudi 11 juin 2020, par
Alors que la deuxième consultation sur l’accession de la Nouvelle-Calédonie à la pleine souveraineté approche, le collectif Solidarité Kanaky dénonce la violation par l’État de ses engagements en tant que signataire de l’Accord de Nouméa [1]. Plusieurs mesures prises pendant la crise sanitaire viennent s’ajouter aux signaux nombreux et répétés indiquant une volonté de neutraliser le processus de décolonisation du territoire.
À l’occasion de la pandémie de COVID-19, l’État français a repris en main la politique sanitaire de Nouvelle-Calédonie, imposant la même stratégie de gestion de crise qu’en métropole et refusant la fermeture des frontières de ce territoire insulaire. Or, c’est le gouvernement local et non la France qui a compétence en matière de santé publique et de contrôle sanitaire aux frontières. Cela constitue une violation flagrante de l’accord de Nouméa, qui stipule que les transferts de compétence de la métropole à la collectivité sont irréversibles [2].
Par ailleurs, les autorités françaises sont accusées d’avoir transgressé les mesures locales de protection face au coronavirus :
- Des membres des forces armées françaises auraient été introduits à plusieurs reprises sur le territoire, contre l’avis du Sénat coutumier, sans contrôles à l’entrée et sans quarantaine ;
- Le haut commissaire de la République Laurent Prévost (représentant de l’État sur place) et le Secrétaire Général de l’État Laurent Cabrera se seraient de même exemptés des mesures de confinement en entrant sur le territoire.
Ces manquements ont conduit Daniel Goa, président de l’Union Calédonienne, à demander dans une lettre ouverte le renvoi du Haut commissaire et du Commandant des forces armées françaises en Nouvelle-Calédonie.
La composition du corps électoral référendaire, déjà sujette à plusieurs élargissements, est une nouvelle fois remise en question [3]. La loi organique prévoyait que les personnes nées en Nouvelle-Calédonie attestant de 3 ans de résidence continue à la date du scrutin pouvaient être inscrites sur la liste électorale spéciale consultation (LESC) après avis de Commissions Administratives Spéciales (CAS), pour la consultation de 2018 uniquement. Mais l’interprétation fournie par l’État à son représentant dans les CAS confère une nouvelle fois aux natifs ayant 3 ans de résidence continue la possibilité d’être inscrits pour la consultation de 2020, alors même que la loi organique n’a pas été modifiée dans ce sens. L’application de cette mesure aurait pour conséquence de mettre encore davantage en minorité les Kanak, en grande majorité indépendantistes, parmi les personnes appelées à se prononcer lors du référendum. L’ouverture dont a fait preuve le peuple colonisé, en partageant son droit à l’autodétermination avec les autres populations anciennement implantées dans l’archipel, est une fois de plus utilisée contre lui.
Enfin l’État cherche à déroger à l’article 5 de l’Accord de Nouméa qui prévoit un délai de deux ans entre chacune des trois consultations sur l’accession à la pleine souveraineté [4]. Au détour de l’annonce [5] de report de la 2e consultation au 4 octobre du fait de la crise sanitaire, Edouard Philippe envisage ainsi la tenue du 3e référendum en 2021 au lieu de 2022. Cette déclaration n’a rien d’anodin : le vote de 2018 ayant vu une courte victoire du non à l’indépendance, réduire les délais laisserait moins de possibilité à une évolution du rapport de force, et revient donc à préserver la majorité anti-indépendantiste. L’État français cherche ainsi à évacuer le processus d’autodétermination le plus vite possible en préservant sa tutelle et ses intérêts dans le Pacifique [6], quitte à violer sa propre constitution.
Il est inacceptable que le mouvement indépendantiste soit forcé à chaque étape de s’engager dans un bras de fer pour défendre l’application des accords. Le collectif Solidarité Kanaky demande le respect scrupuleux de l’Accord de Nouméa par tous ses signataires, y compris l’État et les partis anti-indépendantistes, en particulier :
- le respect du statut autonome de Kanaky-Nouvelle Calédonie et des compétences transférées localement ;
- l’application des conditions d’inscription sur la liste électorale référendaire prévues par la loi organique, y compris la radiation de personnes indûment inscrites par les CAS ;
- le respect du calendrier des consultations tel que prévu par l’accord.
[1] Signé en 1998 dans le prolongement des accords de Matignon-Oudinot, l’Accord de Nouméa est inscrit dans la Constitution française et encadre juridiquement le processus de décolonisation et les relations entre la France et la Nouvelle-Calédonie.
[2] De plus, les compétences transférables au titre de l’article 27 de la loi organique de 1999 (audiovisuel, enseignement supérieur, contrôle de légalité des collectivités locales) restent encore aux mains de l’État français, par une entente entre celui-ci et les partisans de la Calédonie française.
[3] Voir à ce sujet le précédent communiqué du collectif
[4] « Si la réponse des électeurs à ces propositions est négative, le tiers des membres du Congrès pourra provoquer l’organisation d’une nouvelle consultation qui interviendra dans la deuxième année suivant la première consultation. Si la réponse est à nouveau négative, une nouvelle consultation pourra être organisée selon la même procédure et dans les mêmes délais. »
[5] Voir la lettre du Premier ministre au présidents du Congrès et du gouvernement calédoniens sur le site de NC 1ère
[6] Pour plus d’informations : https://survie.org/pays/kanaky-nouvelle-caledonie/